39091. Échange avec Montserrat Sans sur la dimension judiciaire de la question des disparus en Espagne
- Author:
- Montserrat Sans
- Publication Date:
- 04-2014
- Content Type:
- Journal Article
- Journal:
- Cultures & Conflits
- Institution:
- Cultures & Conflits
- Abstract:
- C : En 2002, vous avez présenté un texte devant le groupe de travail de l'ONU sur les disparitions forcées de personnes. Quel était l'enjeu d'une éventuelle intervention de l'ONU dans ce cas précis, en relation au cas des disparitions perpétrées en Espagne ? Montserrat Sans : Ce n'est qu'en 2001 que les nouvelles générations, nées après la transition espagnole, prennent conscience de l'ampleur des atrocités de la guerre civile (1936-1939), des milliers de corps anonymes sans sépulture, de la chape de plomb sur la répression franquiste. Le silence sur l'horreur de cette guerre a continué à peser dans le quotidien de la transition à la démocratie (1976-1978). Les manuels scolaires ne parlaient ni des milliers de fusillés, ni des dizaines de camps de prisonniers politiques, mais insistaient seulement sur les aspects militaires des grandes batailles. Avec l'irruption sur la scène publique du journaliste Emilio Silva recherchant son grand-père fusillé par les troupes franquistes, et retrouvant à ses côtés les treize corps des conseillers municipaux du Bierzo, la presse espagnole a commencé à se faire l'écho d'un phénomène jusqu'alors inavouable : des milliers de disparus jonchent les terres d'Espagne ! Comment justifier que, après pratiquement trois décennies, la démocratie n'ait pas eu un geste institutionnel à l'égard des familles de ces instituteurs, travailleurs agricoles, ouvriers « paseados » par les troupes du général Franco ? L'action devant le Groupe de travail sur les disparitions forcées de l'ONU se situe dans un double contexte national : le second mandat du président Aznar, chantre de la droite catholico- nationaliste qui établit que la démocratie est née par génération spontanée au moment de la transition espagnole, niant donc toute légitimité à la République espagnole ; et le verrouillage systématique du pouvoir judiciaire, à savoir : L'impossibilité d'obtenir un mécanisme institutionnel donnant aux familles des victimes antifranquistes la possibilité de récupérer leurs corps (droit à exhumer) ou d'obtenir des informations sur les circonstances et le lieu de leur mort (identification des restes, transfert des corps vers des cimetières municipaux, etc.). L'attitude des juges déboutant à coups de loi d'amnistie (voir ci-après) toutes les demandes des familles clamant leur droit à donner une digne sépulture aux restes d'un père, allant même, dans certains cas, à nier l'existence même de la victime par manque de preuves. L'urgence de trouver une solution pour des dizaines de veuves dont le dernier désir était de reposer auprès de leur mari. Face à ce blindage légal et judiciaire, l'internationalisation du phénomène, l'appel à l'aide de l'ONU étaient incontournables pour mettre en évidence le manque de protection juridique des familles de disparus, le maintien du deuil suspendu qu'implique toute disparition, et l'impunité gérée par les autorités en place. Toutes ces conditions sont conformes à ce que la communauté internationale qualifie comme un affront à l'humanité.
- Political Geography:
- Spain