41. Différenciation culturelle et stratégies de coopération en milieux militaires multinationaux
- Author:
- Joseph Soeters and Delphine Resteigne
- Publication Date:
- 05-2014
- Content Type:
- Journal Article
- Journal:
- Cultures & Conflits
- Institution:
- Cultures & Conflits
- Abstract:
- La coopération multinationale dans le registre militaire n'est pas quelque chose de tout à fait nouveau. Même si l'on en parle davantage depuis ces dernières années, déjà pendant la Seconde Guerre mondiale, les forces alliées opéraient côte à côte contre l'ennemi. Ainsi, la libération du continent européen fut le résultat de l'effort collectif des troupes issues de différents pays. Et si chacune agissait de manière relativement isolée et visait des objectifs propres, toutes ces actions étaient cependant coordonnées dans le cadre d'une seule et même mission menée sur le vieux continent. Tout au long de l'histoire, nous pouvons relever d'autres exemples d'actions militaires multinationales que ce soit en Europe ou ailleurs comme, par exemple, le soutien apporté aux otages occidentaux pendant la révolte des Boxers à Pékin il y a plus d'une centaine d'années. Dans cette action courte mais décisive, le corps expéditionnaire (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Italie, Allemagne et Empire austro hongrois), allié aux unités russes et japonaises, réussit rapidement à s'assurer la victoire et ce, malgré certaines tensions durant la marche vers Pékin. Toutefois, par rapport à ces précédentes collaborations, les coalitions militaires actuelles sont devenues incontournables et ne constituent plus, comme autrefois, des cas de figure isolés. Depuis la fin de la guerre froide, quatre facteurs ont encouragé cette coopération croissante entre les armées nationales. Premièrement, cette collaboration accrue est liée à la professionnalisation des forces armées car, avec la fin de la conscription observée dans un nombre croissant de pays, toute une série de changements structurels et institutionnels ont été entrepris pour réduire les effectifs de forces. Dans certains pays, comme en Belgique, cette diminution a été renforcée par les effets négatifs d'une pyramide des âges déséquilibrée et par un manque de jeunes recrues pouvant être déployées en opérations. Deuxièmement, avec la fin de la menace soviétique (et plus récemment les effets de la crise financière sur les budgets nationaux), nous avons assisté à une diminution importante des montants consacrés aux dépenses militaires. Aussi, les différentes armées ont été de plus en plus enclines à unir leurs efforts pour éviter toute duplication inutile de moyens. Troisièmement, en raison de menaces plus diffuses, les tâches opérationnelles nécessitent que les effectifs soient maintenus pour des durées d'intervention plus longues. La nature des missions ayant gagné en complexité, les militaires doivent à la fois faire preuve de flexibilité tout en étant spécialistes, ce qui complique d'ailleurs la détermination a priori de scénarios d'engagement. Enfin, cette collaboration internationale est également facilitée par les progrès technologiques observés dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) qui améliorent l'échange d'informations et la coordination entre les différents intervenants. Dès lors, comme c'est le cas dans le domaine des affaires et du commerce international, la coopération militaire multinationale n'est plus confinée à quelques rares missions et, à un niveau plus macro-structurel, elle est même devenue indispensable. Dans une Europe composée d'une myriade de petits pays, nous avons ainsi progressivement assisté à une augmentation et à une institutionnalisation des composantes militaires multinationales comme l'Eurocorps, les Corps germano-néerlandais, germano-français ou encore nord-est. A cela, se sont récemment ajoutés, depuis début 2007, les groupements tactiques européens qui servent à la fois d'instrument opérationnel de gestion de crises et d'outil de transformation militaire européenne. Du côté de l'OTAN également, tant du côté du volet opérations que de la transformation, nous retrouvons également des configurations organisationnelles multinationales. Pour les « petits » pays, ces collaborations présentent certains avantages et permet tent ainsi de prendre part simultanément à différentes missions sans pour autant prendre en charge la totalité des coûts liés à un déploiement opérationnel. Ce partage des coûts et des risques permet ainsi de déployer des capacités dans des domaines d'action liés à des niches de compétences spécifiques. Mais, à l'heure actuelle, aussi pour s'assurer une certaine légitimité, cette collaboration multinationale est également soutenue par les plus grands pays, comme l'illustrent les récentes coalitions engagées en Irak ou en Afghanistan. Nous avons aussi assisté à un phénomène de centralisation opérationnelle au sein d'états-majors interarmés mais nous remarquons, et c'est ce qui fait l'objet du présent article, que cette multinationalisation ne s'observe plus uniquement au niveau des fonctions d'états-majors mais commence à descendre vers les plus bas échelons de la hiérarchie, pour certaines fonctions spécialisées ou lors des temps libres tout du moins. Ainsi, lorsqu'ils sont déployés dans des théâtres d'opérations, les militaires partagent les mêmes camps avec d'autres militaires étrangers avec lesquels ils seront parfois aussi amenés à travailler, même si certains obstacles continuent à ralentir ce processus descendant de multinationalisation. En outre, depuis quelques années, la composition plus diverse des forces d'intervention a été renforcée par une plus grande diversité interne liée à l'ouverture des forces armées à de nouvelles catégories de personnel. En opérations, cette complexité organisationnelle se voit en outre renforcée par deux autres facteurs de diversité à savoir le caractère interforces, liées à la présence de différentes spécialités et composantes et le caractère interagences de par la collaboration avec les intervenants civils. Dans les lignes qui suivent, nous ne nous pencherons pas sur ce dernier point, mais nous nous limiterons plutôt à la coopération militaire multinationale. Avec, en toile de fond, ce contexte de plus grande diversité – interne et externe –, l'objectif visé dans le présent article est, d'une part, de revenir sur la notion même de culture pour avancer une approche pragmatique et différenciée de culture militaire. Ensuite, dans une perspective plus empirique, il s'agit d'analyser les stratégies de coopération relevées dans plusieurs études de cas menées in situ ainsi que les obstacles majeurs qui continuent d'entraver une intégration accrue.
- Political Geography:
- Europe